Laetitia Bisiaux, 26 ans. Moi ! J’ai tout quitté en France pour vivre une passion : la forêt. Je vis en Thaïlande, à Chiang Mai pour y créer un projet de protection original que j’ai nommé ACT. L’idée est née à la suite d’un long voyage en Asie et d’une expérience de bénévolat pour aider à préserver des gibbons. Je vous présente ici mon parcours, celui qui m’a mené à penser ce projet. Il est  plutôt atypique. Je n’aurais jamais pensé écrire ces lignes trois ans en arrière…

 

Carte de la Thaïlande. Près de 1600 km séparent Phuket de Chiang Mai.

 

Pourquoi j’ai voyagé

 
Partir, voyager, découvrir. Des mots qui me faisaient rêver mais je n’osais pas franchir le pas. La peur empêche de suivre ses rêves et il est plus confortable de vivre sa routine…

J’ai suivi le cursus des écoles préparatoires puis j’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure. Rien ne m’y destinait. Je ne suis pas issue d’une famille aisée, ni d’une lignée d’étudiants de grandes écoles. Mon père était boucher et ma mère sans profession. Mais j’avais de l’ambition et j’étais animée depuis toujours par la passion d’apprendre. Ma réussite, je la dois notamment à mon grand-père qui m’encourageait dans tout ce que j’entreprenais. Sa reconnaissance était ma plus belle récompense.

Je voulais être chercheur, plus précisément astrophysicienne depuis l’âge de 14 ans. En Prépa, j’ai eu un excellent professeur de chimie. Il m’a transmis sa passion pour cette science. De l’infiniment grand, je décidais finalement d’étudier l’infiniment petit. La passion pour la science m’anime toujours mais je ne souhaite plus en faire mon métier. J’ai vécu un traumatisme qui m’a fait prendre conscience que je ne pourrais pas être chimiste. En 1ère année de Master, je tombe malade et les médecins ne parviennent pas à diagnostiquer mon problème. Après plusieurs semaines, ils découvrent des nodules dans mes poumons, mais aucun médecin n’arrive à déterminer de quoi il s’agit. Evidemment, on imagine toujours le pire. Un mois avant mon départ pour le Canada (pour mon stage de fin d’année), je me fis opérer afin de réaliser une biopsie d’un nodule. Ce fut une intervention très douloureuse et je souhaite ne jamais revivre ça. Si les fumeurs pouvaient avoir cette expérience, nombreux arrêteraient rapidement ! Les analyses ont montré que j’avais la tuberculose, mais une version atypique. Rassurée sur mon état de santé, je prends conscience que je ne veux pas sacrifier ma santé au profit de la chimie. Mon stage au Canada m’a conforté dans mes choix. Je n’aurais pas pu choisir un pire laboratoire pour craindre à propos de ma santé. Onze personnes qui manipulent des substances dans une même pièce close et aucune consigne de sécurité n’était respectée. Les produits toxiques étaient laissés sur la paillasse à l’aire libre, les hottes mal utilisées… L’odeur nauséabonde qui émanait de ce laboratoire était évacuée en laissant la porte ouverte et causait le ras-le-bol des labos voisins. Chacun s’habitue au danger mais les composés n’en restent pas moins dangereux. J’ai terminé mon Master afin d’avoir un diplôme, une forme de reconnaissance après tant d’années d’études et de sacrifices.

Le dernier jour de ma vie étudiante, après la soutenance de stage, mes camarades de promo parlaient de leur projet : une thèse ou l’agrégation. Je restais silencieuse car j’avais honte : je ne savais pas quoi faire. Au moment de saluer tout le monde, Franziska, une Allemande venue étudier avec Erasmus en France me rassura, elle non plus ne savait pas. Elle avait l’intention de voyager pour prendre le temps de réfléchir. Elle m’invita à faire ce voyage avec elle. Les jours passaient et son idée restait dans ma tête. J’y pensais de plus en plus. Et pourquoi pas… Je décidai de lui écrire pour lui dire que je partirai avec elle.

 

Comment je suis devenue bénévole

 
C’était un de mes souhaits, donner de mon temps pour soutenir une bonne cause mais je n’avais rien planifié. Les choses se sont passées d’une manière très inattendue.

Mes compagnes de voyage et moi voulions voyager selon nos envies, à l’aventure. Le jour de notre arrivée à Bangkok, un Thaïlandais nous accosta pour nous proposer son aide car nous cherchions l’ambassade du Vietnam pour faire faire un visa. Il parlait un bon anglais, il paraissait très gentil et chaleureux. Il nous demanda ce qu’on a prévu de visiter et nous conseilla des destinations. Il nous a suggéré de vivement réserver car nous risquions de dormir dehors. Voyager sans réservation serait très dangereux en Thaïlande. Il a appelé pour nous un tuk-tuk et négocié la course pour 20 baht afin que nous puissions aller faire faire notre visa. Arrivée à destination, nous lisons « tourist information », nous pensions être à l’office du tourisme et non dans un agence de voyage. Le discours y était le même et sans comprendre ce qu’il nous arrivait, une dame avait planifié notre voyage et nous demandait 26 000 baht chacune ! Au fond de moi, l’idée ne me plaisait pas. Mais je n’osais contredire mes compagnes de voyage que je connaissais à peine. En réalité, elles non plus n’étaient pas partantes mais elles pensaient que je souhaitais réserver. Un quiproquo. C’est ainsi que nous avons réservé des hôtels, des bus et des bateaux sans avoir la moindre idée des endroits où nous allions.

L’agente de voyage avait choisi pour nous la Thaïlande du Sud : Koh Phangnan, Koh Samui, Koh Tao, Phuket et Krabi. L’itinéraire du touriste classique : fête et plages… Alors que je rêvais de forêt tropicale, de treks pour observer des animaux sauvages… On s’est donc retrouvé dans les lieux les plus touristiques, jamais très loin des bars à filles venues monnayer leurs charmes. A chaque fois, nous tentions malgré tout de nous échapper de la masse de touristes.

Les temples d’Ayutthaya.

Coucher de soleil sur la Mer d’Adaman.

Koh Phangnan renferme une très belle forêt (cette île est notamment connue pour la Full Moon Party, une fête entre touristes au cours de laquelle l’alcool et la drogue se joignent aux festivités).

Belles plages de Thaïlande.

Arrivée à Patong (lieu infâme de débauche), dans un hôtel en plein cœur de cette jungle touristique, j’avais le cœur déchiré : 5 jours ici ! Je rêvais de m’échapper, de voir de la forêt. Sur un plan, je lis « parc national », « Gibbon rehabilitation Project ». Je dis à Franziska que demain j’irais là-bas. Après hésitation, elle a décidé de m’accompagner. Rejoindre ce parc fut toute une aventure. Le taxi nous a déposé à la mauvaise entrée : le projet des gibbons était de l’autre côté. 2 choix s’offraient à nous, soit nous reprenions un taxi (20 km entre les 2 entrées tout de même), soit nous traversions la forêt. Nous avons choisit… la seconde option ! Mais le chemin n’était pas balisé. Nous nous sommes perdues en entraînant 2 autres Français avec nous rencontrés en route. Nous avons enfin retrouvé notre point de départ après quelques heures de marche. Les 2 garçons nous amènent à l’autre entrée en scooter. Sur place, un bénévole nous a accosté, il était Français. Il nous a parlé de son travail au Centre, du trafic illégal dont souffrent les gibbons en Thaïlande. J’ai tout de suite le coup de cœur pour cette association. Franziska aussi. Nous avons donc décidé de nous impliquer pendant 2 mois comme bénévoles, ce sera après notre voyage à Singapour et au Vietnam car nous avions réservé les vols et le visa (dans la fameuse agence de voyage que nous prenions pour un Office de tourisme ou équivalant).

Patong à Phuket, une île défigurée par le tourisme de masse.

Le parc national de Phuket abrite une forêt primaire.

 

Mon expérience en tant que bénévole

 
Deux mois plus tard, de retour en Thaïlande, je commençais à travailler pour le Projet des Gibbons. Après un départ en demi-teinte, j’ai pris rapidement confiance en moi.

Je voulais apporter des contributions personnelles au projet. Je savais à quel point il était difficile de joindre le parc national (peu d’indications, de publicités, les locaux ne connaissaient pas toujours le parc). Il fallait être très motivé pour se rendre au centre…

Je souhaitais aller chercher les touristes qui restent près des plages et les informer du problème et de nos actions. Mais je n’étais pas écoutée au sein du groupe, et l’équipe thaïlandaise ne me faisait confiance. Je devais devenir populaire et instaurer une bonne cohésion au sein du groupe. J’ai utilisé mon arme fatale : ma cuisine, et celle-ci fit des merveilles ! Même au fin fond de la forêt, j’amenais mes petits plats, mon crumble et mon gâteau au chocolat. Ajouté à cela ma bonne humeur et ma motivation débordante, je devins populaire et très appréciée parmi les Thaïlandais et les bénévoles.

Quelques semaines après mon arrivée, un bénévole rejoignit le centre et ce fut le début d’une belle amitié : Chang, un Canadien trilingue (il parle français, anglais et thaï). On partageait la même passion pour la cuisine. Lui-même était traducteur et ne voulait plus de cette vie. Il avait décidé de reprendre ses études à l’âge de 45 ans pour faire ce qui lui plaisait vraiment : la foresterie. J’admire toujours son courage. Pendant nos journéess de repos, nous allions sillonner les rues de Phuket à moto pour faire une campagne de sensibilisation. Je portais mon gros sac à dos chargé de dépliants à la recherche d’hôtels afin d’en déposer pour leurs clients et proposer des boîtes de donation à mettre à disposition des touristes. Comme Chang parle Thaï, la communication était très facile.

Par la suite, Roch, un employé thaïlandais du Centre (qui deviendra 1 an plus tard mon associé pour la création de mon projet) accepta de nous emmener aux ports et à l’aéroport avec des pancartes et des dépliants à diffuser et montrer le plus possible. Chaque touriste qui arrivait à Phuket se voyait remettre quelques informations. Les personnes à destination de Koh PhiPhi où de nombreux gibbons sont exploités étaient informées avant leur départ (Koh PhiPhi est une île paradisiaque qui souffre du tourisme de masse car elle a été rendue populaire par Léonardo Dicaprio avec le film La Plage). Je passais mes soirées à réfléchir à la campagne de sensibilisation : comment améliorer les prospectus et les techniques d’approches. Grâce à Marie, une bénévole française baroudeuse et passionnée de dessin, nous avons réalisé des illustrations humoristiques pour faire passer le message dans nos brochures.

Distribution de dépliants à Phuket.

Prévention à l’aéroport de Phuket.

Mon départ du Centre approchait et j’étais triste de dire au revoir au groupe. J’avais trouvé des amis, une passion, l’envie. Je savais enfin ce que j’aimais : préserver la nature.

J’ai quitté le centre 3 mois après mon arrivée le cœur gros. Je fis la promesse de revenir.
 

Mon retour en France

 
Je me suis envolée pour le Népal mais mon séjour fut écourté. Deux semaines après mon arrivée, je reçus un coup de téléphone de ma sœur me priant de rentrer en France le plus vite possible. Je devais dire au revoir à ma grand-mère avant qu’il ne soit trop tard. Je fus donc arrachée à mon voyage, à l’équilibre que j’avais trouvé. J’étais ramenée à la réalité. Ma famille avait pris soin de ne rien me dire pendant ces mois hors de France. De terribles épreuves m’attendaient, mais j’étais loin d’imaginer que ce serait pire que mes plus terribles cauchemars…

Chaque jour, je rendais visite à mes grands-parents. Je passais beaucoup de temps avec mon grand-père pour le soutenir moralement. C’était très difficile de voir ma grand-mère dans cette situation. Elle fut jadis une dame très coquette, une excellente cuisinière qui savait réunir les gens autour de ses bons repas, toujours soucieuse des autres et jamais d’elle. Chaque jour allait plus mal que le précédent. Je voyais la vie la quitter petit à petit. Elle nous quitta le 13 octobre 2013 et je décidai de laisser de côté tous mes projets pour ne m’occuper que de mon grand-père, totalement anéanti par la perte de sa femme. Presque 50 ans ensemble, il devait réapprendre à vivre. Malheureusement, le chagrin l’emporta 17 jours plus tard. Je me retrouvais comme orpheline. Je ne savais pas comment faire un deuil, alors deux ? Jamais je ne pensais retrouver un jour le sourire. Je pris la décision de repartir en Asie, au GRP, pour retrouver ma joie de vivre et poursuivre un but qui me tenait à cœur.
 

Retour au GRP

 
Mon retour ne fut pas à la hauteur de mes espérances. J’avais emporté avec moi mes pensées, mes problèmes, ces bagages que j’aurais aimés laisser en France. L’équipe du projet avait changé. Mes tentatives pour recréer l’ambiance que j’avais connue la 1ère fois ont échoué. Ce que j’avais instauré l’année précédente avait disparu. Personne n’avait repris le flambeau et l’on m’a alors fait comprendre que cela ne serait plus possible. J’ai alors mis toute mon énergie dans la construction de cages, très physique et peu cérébrale. Je suis devenue une pro du ciment ! J’étais assez peu proche des bénévoles, à quoi bon avoir des amis s’ils partent ensuite ? J’étais une ancienne et mes amis étaient les Thaï et les Anciens. Roch me proposa d’aller à Chiang Mai pour y construire une cage en forêt et y faire de la prévention. J’acceptai avec joie. Je ne connaissais pas la région du Nord de la Thaïlande, j’eus un coup de cœur immédiat pour cette région. Je voulais devenir bénévole là-bas toute ma vie…

Cours de conservation dans le village.

L’équipe du projet des gibbons à Chiang Mai.

Un gibbon et son bébé. Cette femelle a été relâchée par le Projet des Gibbons en septembre dernier. Son bébé est né en forêt.

A Phuket, je me sentais frustrée d’être limitée dans mes actions. J’aime diriger, décider et non obéir. Roch me proposa de diriger son ancien projet qui n’avait pas pu aboutir, pour différentes raisons. Son idée me plaisait et resta dans ma tête… Et pourquoi pas ? Quelques mois plus tard, nous sommes retournés à Chiang Mai afin de proposer des activités aux enfants du village. J’ai créé des jeux, des activités, des cours… J’ai compris une chose très importante en voyant ces enfants jouer : une manière efficace de protéger la forêt est de rendre les humains amoureux de leur environnement. Pourquoi détruire ce qu’on aime ? Pour l’argent évidemment. La pauvreté pousse certains à commettre des actions illégales. Mais la surexploitation des ressources n’est en aucun cas une solution. Il faut donc instaurer un système durable. Mon projet prenait petit à petit forme dans ma tête…

A suivre!