Certains mots, dans l’air du temps, restent pour longtemps contaminés par une connotation indésirable qui les rendent soudain impropres à la consommation… Si bien qu’on n’ose même plus les prononcer !

NORMAL — Cet adjectif qualificatif, aux abords si rassurants, signifie une conformité certaine à la règle, à une norme, à une convention, ou du moins, — dans une acception au figuré —, une référence explicite aux usages courants, induisant discrétion et simplicité, en opposition à tout ce qui semble excessif, ostentatoire… et « bling-bling ». En 2012, les grands manitous de la communication politique ont confisqué ce mot pour l’ériger en paradigme d’une (im)posture présidentielle qui se prête aujourd’hui à tant de quolibets et de sarcasmes. Face à cette pollution sémantique, aujourd’hui, ne deviendrait-il pas suspect — voire inquiétant — de se revendiquer « normal » ? Est-il « normal » en effet de porter une cravate de travers, d’oublier de faire un ourlet au pantalon de son costume, de servir une blague à deux balles pour éluder une question embarrassante, d’inventer des « débats sociétaux » pour mieux masquer les problèmes économiques ? À croire que « normal » daignerait accepter pour synonymes les mots désinvolte, superficiel, inconséquent ? Ce glissement de sens n’a pas échappé aux prêtres du clergé médiatique — naguère thuriféraires du président adepte du « changement, maintenant » — puisqu’ils rivalisent de bons mots pour s’amuser des nuances que suggère cet adjectif « normal », jadis exempt de malicieuses insinuations… Par la grâce — ou la malédiction — d’une élection présidentielle, « normal » aurait quitté le champs lexical de la rigueur et de la norme en vigueur, pour s’aventurer sur le terrain du marketing politique, là où la dialectique s’évertue à donner un brin d’intelligence à la démagogie. Insuffler une « normalité » à la magistrature suprême, est-ce la désacraliser ou la rehausser ? Est-ce feindre de croire qu’un hiérarque roublard de la nomenklatura française puisse « vivre comme Monsieur tout-le-monde » ? Ou est-ce confier un mandat présidentiel à quelqu’un qui n’en a ni la capacité ni l’étoffe ? Peu importe la réponse, si imbriquée aux convictions de chacun. Trop polémique peut-être. Et surtout trop tard. Le marketing politique a fait son œuvre : trouver le bon gimmick pour séduire et abêtir le vulgus pecum. Et tant pis pour moi si j’hésite à me revendiquer « normal », au gré de mon quotidien banal, de peur d’être assimilé à cet usurpateur de normalité…

Jacques GIMARD

Illustration: TeeNa Stone