Maigrir à tout prix : le témoignage de Victoire Maçon Dauxerre dans Jamais assez maigre

Victoire Maçon Dauxerre a cru aux contes de fées, que nourrissent nombre de jeunes filles : devenir top modèle. Mais entre les exigences drastiques des agences de mannequins, la sévérité inhumaine des valeurs imposées par les créateurs de mode et l’isolement émotionnel, il lui aura fallu une tentative de suicide pour comprendre que sa vie était en danger. Obsessionnelle et destructrice : manger ou ne pas manger, telle était devenue la question.

 
Maigrir à tout prix : le témoignage de Victoire Maçon Dauxerre dans Jamais assez maigre

Trois pommes par jour

A l’âge de 17 ans, Victoire Maçon Dauxerre n’a jamais pensé devenir mannequin. Elle prépare son bac en candidat libre et profite d’une journée de shopping en compagnie de sa mère quand sa vie bascule. Un chasseur de mannequins l’aborde, la couvre de compliments et lui propose de se présenter dans les locaux de l’agence Elite de Bordeaux.

Pourquoi pas ? Ce serait l’occasion de voyager, de vivre une expérience inédite, de gagner de l’argent dans les meilleures conditions ! Candide, encouragée par les siens, Victoire tombe alors dans un piège sans fond. Elle mesure déjà 1,78 m et pèse 56 kg, ce qui lui donne une silhouette très élancée et franchement mince. Mais voilà, ce n’est pas encore suffisant pour être acceptée comme postulante aux défilés de septembre. Victoire a donc à peine plus de deux mois pour passer d’une taille 36 à une taille 32. En cherchant sur Internet quel serait le régime le plus efficace, elle choisit de ne plus avaler que 3 pommes par jour.

Sa famille entame avec elle un combat – qui deviendra quasi-permanent lorsqu’elle sera auprès d’elle pour la faire manger. Mais Victoire tient bon. Ils l’ont encouragée, oui ou non ? Elle doit tenir cet engagement. Car Victoire a toujours été bonne élève. On lui donne une direction à suivre pour réussir, elle la suit, obstinément.

Maigrir à tout prix, la clé du succès

Septembre arrive et Victoire a atteint son but. Elle s’envole donc pour ses premiers castings avec deux autres recrues peu liantes et un manager insupportable. Qu’importe, elle vit un rêve ! Lequel tourne court rapidement. Les castings s’enchaînent et les déconvenues aussi. Plongée jusqu’à la gorge dans l’univers du mannequinat, l’adolescente découvre la sauvagerie d’un milieu masqué de paillettes.

La course commence par les rendez-vous aux quatre coins des grandes villes de la mode, New York et Milan en tête. Les journées sont longues et ennuyeuses : des heures d’attente dans des couloirs, sans parler à quiconque, pour un aller-retour sur des échasses face à des recruteurs boudeurs à peine aimables. Les rivalités entre mannequins, l’aveuglement des professionnels à la souffrance des candidats, le sadisme dans l’hypocrisie qui veut que l’on dispose un buffet garni face à des jeunes gens que l’on pousse à s’affamer… Juste de quoi complaire aux éventuels yeux avertis qui pourraient critiquer les critères de choix des candidats.

Coupée de ses parents, très seule, Victoire a beau être montrée en exemple à d’autres filles, qui ne lui renvoient que des regards noirs, elle sombre avec son poids et tombe à 47 kg. Apathique, incapable de se concentrer sur quoi que ce soit, pas même une quelconque lecture, sans cesse frigorifiée, le corps endolori par l’anorexie, elle refuse d’entendre les alertes d’un physique à bout. Car plus elle maigrit, plus on la sollicite et sa carrière décolle. Être maigre était ma seule valeur.

Jamais assez maigre, journal d’un top modèle

Les mois s’enchaînent, la saison des défilés se termine mais Victoire s’efforce de rester la parfaite brindille. Pourtant, il lui arrive de craquer pour une cuisse de poulet, des sucreries. Un pêché mignon nécessaire à sa survie qui l’horrifie à tel point qu’elle use alors de laxatifs et de lavements à s’en rendre plus malade encore.

Elle sourit sur les photos mais devient enragée avec le premier maquilleur venu. Est-ce le manque de considération qui lui tape sur les nerfs ou le manque tout court qui la transforme en cintre acariâtre ? Lors de rares moments de doute, ses larmes contenues éveillent l’instinct de ses proches.

C’est ainsi que sa mère, en visite, la surprend nue dans une salle de bains d’hôtel. Le choc est d’une rare violence : sa fille est squelettique ! Elles bataillent physiquement car Victoire ne veut rien entendre. Mais son esprit bascule peu à peu et une tentative de suicide plus tard, l’appel au secours est entendu, par ses parents, ses frères, ses amis et surtout par elle-même !

Victoire est sortie d’affaire lorsqu’un éditeur (Les Arènes) lui propose d’écrire son histoire. Jamais assez maigre, journal d’un top modèle, sort en 2016 (disponible sur Fnac, Cultura, Amazon). À sa lecture, on est touché par la sincérité débridée de la jeune femme. Franche et sans fard, Victoire Maçon Dauxerre dit tout. Cette honnêteté s’applique à elle-même mais aussi à cette industrie de l’illusion qui maltraite consciemment les gens et ignore leur souffrance.
 

La loi santé de 2015 préconise que l’embauche de mannequins qui n’ont pas un IMC correct est interdite mais les grands noms de la mode se parent derrière l’argument fallacieux que la mode doit faire rêver… Rêve ou réalité, peut-être faudrait-il que ces artistes se mettent à l’écoute des humains pour lesquels ils créent ?